Samedi, la Cour suprême a créé la surprise en suspendant temporairement les expulsions de migrants vénézuéliens vers le Salvador. Cette mesure, jusque-là menée sous une loi d’exception vieille de plus de deux siècles, avait été lancée par l’administration Trump avec l’objectif affiché de lutter contre l’immigration clandestine et les réseaux criminels.
Cette suspension a été décidée malgré l’opposition de deux juges conservateurs. Samuel Alito, dans son opinion dissidente, a critiqué une décision « précipitée », estimant qu’aucun élément concret ne justifiait l’urgence invoquée. Il a mis en doute la menace imminente avancée par les requérants, un point central pour justifier l’intervention de la Cour à ce stade.
Trump contre les juges : la ligne rouge
La riposte de Donald Trump n’a pas tardé. Sur Truth Social, sa plateforme de prédilection, l’ancien président a publié un message rageur le dimanche de Pâques. Il y fustige « les juges faibles et inefficaces », et accuse ses opposants politiques d’ouvrir les portes du pays à des « meurtriers », des « trafiquants » et des membres du gang MS-13. Un discours brut, sans filtre, fidèle à sa ligne habituelle.
Ce n’est pas la première fois que Trump s’en prend à l’institution judiciaire. Mais l’intensité de ses attaques laisse présager une campagne 2024 placée sous le signe du bras de fer avec les juges. Il présente désormais la justice comme un obstacle à la sécurité nationale, une rhétorique qui séduit une frange de son électorat, mais inquiète jusque dans son propre camp.
Une loi d’exception réactivée
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier, Trump a placé l’immigration illégale en tête de ses priorités. Pour accélérer les expulsions, il a ravivé une loi datant de 1798, conçue initialement pour faire face aux ennemis de l’intérieur en temps de guerre. Cette disposition permet de cibler des étrangers considérés comme une menace sans passer par un procès.
C’est en vertu de cette loi que plus de 250 migrants ont été expulsés vers le Salvador ces dernières semaines. La majorité d’entre eux sont vénézuéliens. L’administration les accuse d’être affiliés à des gangs, sans toujours fournir de preuves concrètes. Leurs avocats dénoncent une chasse aux tatouages : certains migrants ont été arrêtés uniquement en raison de marques corporelles, considérées comme des signes d’appartenance à des bandes criminelles.
Les voix dissidentes montent
Face à ces expulsions expéditives, les critiques se multiplient. Plusieurs ONG et élus démocrates pointent des dérives graves. La sénatrice Amy Klobuchar parle d’un « basculement vers une crise constitutionnelle ». Selon elle, l’exécutif outrepasse ses pouvoirs en ignorant ouvertement les décisions de justice.
Un autre cas suscite l’indignation : celui de Kilmar Abrego Garcia, expulsé à tort malgré son mariage avec une Américaine. Depuis, il est incarcéré au Salvador. La justice a exigé que les autorités facilitent son retour. Refus catégorique de la Maison-Blanche, qui continue de le qualifier de gangster, sans fournir la moindre preuve. Un acharnement qui illustre, pour ses défenseurs, l’arbitraire de cette politique.
Vers une rupture institutionnelle ?
Chris Van Hollen, sénateur démocrate, s’est rendu en personne au Salvador pour rencontrer Abrego Garcia. De retour à Washington, il a dénoncé une administration qui « piétine les droits fondamentaux » et « menace l’équilibre des pouvoirs ». Il craint que le précédent créé affaiblisse durablement le rôle de la justice dans le système démocratique américain.
En opposant frontalement la sécurité nationale à l’État de droit, Donald Trump rebat les cartes du débat politique. Mais ce pari pourrait se retourner contre lui. En réduisant la justice à un obstacle politique, il expose son administration à une crise bien plus large que celle de l’immigration : une remise en cause des fondements mêmes de la démocratie américaine.